GABON : LE MEURTRE DU MVET PALACE (OYEM°). (24/12/2015)

Enquête du FBI dans la Cité des Immortels

Part I

Le Fokker F28 de la compagnie Emergence-Airlines venait d’atterrir au moment où Minko Mi Biaη arriva à l’aéroport d’Ewôt-Mekòk, situé à environ huit kilomètres au sud de la ville d’Oyem. Dans le taxi qui l’avait emmené à Ewôt, Minko avait écouté le récital mvet d’Emmanuel Mvome Ekò, un chanteur de sagas gabonaises. Comme beaucoup de fils du peuple Ekaη avant lui, Minko ferraillait avec l’énigme de la naissance d’Akoma-la-Forge, le héros fondateur d’Egoη, la cité aux rues pavées d’acier, célèbre pour ces guerriers invincibles et son système onomastique tissé de chaînons anaphoriques qui permettent à tout individu de mémoriser sa généalogie jusqu’au premier chant du coq.

Etudiant en histoire de l’art, Minko cherchait à démêler le récit de la vie d’Akoma-la-Forge depuis plusieurs années. Même le Vieux Essil-Bare-Melò — vous le rencontrerez plus loin — n’a jamais réussi à le dénouer. Déçu d’y avoir encore buté, Minko ôta les écouteurs de son smartphone des oreilles, les glissa dans la poche de son pantalon, puis se mit à déambuler dans la salle d’attente de l’aérodrome déjà pleine de monde. Venu accueillir les membres de l’association « Gardiens de


la Mémoire des Ekaη », Minko se retrouva par hasard face à deux touristes américains.

Minko ne vit rien de suspect à la présence de ces Américains à Oyem. La région accueillait chaque année les membres du Corps de la Paix des Etats-Unis, toujours à l’œuvre dans les quatre coins du monde malgré le long séjour de la dynastie guerrière des Bush à la Maison Blanche. Mis sur pied en 1960 au lendemain du débarquement manqué de la Baie des Cochons à Cuba, le Corps de la Paix semblait avoir infiltré les régions les plus reculées d'Afrique noire. Ses soldats venaient dispenser divers enseignements au Gabon. L’anglais à Mayumba. La technique d’élevage du poisson-chat dans des lacs artificiels creusés aux abords du fleuve Makumba. La nuit, les membres du Corps de la Paix battaient du tam-tam et avalaient des bols entiers de décoction d’iboga en compagnie des « pygmées » lors de la fête consacrée à l’esprit de la forêt Tsinghi ; le jour ils aidaient au déploiement de la fibre optique le long du Golfe de Guinée, favorisant un meilleur transport de l’information dans la région. Sa mission, Minko avait appris en lisant le New York Times sur Internet, était facilitée par les multiples satellites géostationnaires disséminés dans le ciel équatorial. L’exploit avait été réalisé au siècle dernier après qu’un savant russe eut découvert à des milliers de kilomètres au-dessus de la ville de Boué, une orbite permettant d’immobiliser les satellites en vue d’émettre des ondes vers n’importe quelle région de la terre. On en voit les résultats avec la globalisation des téléphones mobiles. Les nouvelles technologies avaient désenclavé des villages jadis perdus au fin fond de la brousse africaine. Il était désormais possible de regarder la chaîne de télévision CNN à Nkól-Abona, la patrie de Tsira Zeng Ebome blottie à près de mille mètres d’altitude dans une mer verdoyante. Du corps de garde de Tsira Zeng, le visiteur à l’œil fin pouvait voir la canopée onduler tel un lagon flottant entre terre et ciel. Pas étonnant que ce village ait donné naissance au plus bel aède du pays. Un poète au verbe incandescent, qui chantait la beauté solaire de l’homme noir et guidait naturellement les pas de Minko dans sa quête du sens caché de la vie.

A l’entrée du village Nkól-Abona, les « Gardiens de la Mémoire des Signes », intellectuels gabonais, camerounais et équato-guinéens éparpillés dans les quatre coins de la planète — comme s’ils eussent enfin entendu l’appel de la « Perdrix » lancé par Tsira Zeng plusieurs décennies avant sa disparition — avaient fait ériger un monument au fronton duquel ils avaient gravé des lettres couvertes de feuilles d’or :

 

Pierre-Claver Zeng Ebome

Tu es beau comme un jour de plein soleil

Tu es beau comme les sonorités de ton chant

 

Vêtu d’une chemise teinte à la sève astringente du Flamboyant, un arbre historique du village Mibeη qui avait servi d’abri à un parachutiste allemand lors des combats ayant eu lieu à cet endroit pendant la Seconde Guerre mondiale, Minko cherchait du regard les trois « Gardiens de la Mémoire des Signes » venus à Oyem en vue de l’inauguration du monument dédié à Tsira Zeng. Soudain son attention fut détournée par la conversation des Américains. Le visage de Minko se crispa de stupeur, puis vira au noir ténébreux du bois d’ébène quand il les entendit prononcer les syllabes êf-bi-aï.

Le FBI ?… La police américaine à Oyem ? Cela faisait des semaines que la rumeur annonçait la visite du FBI au pays des Ekàη. Minko sut qu’un jour affreux venait de se lever. Une terrible bataille attendait le peuple d’acier. Non ! jura-t-il, aucun fils Ekàη, quoi qu’il ait fait, ne sera extradé vers ce pays sauvage des Etats-Unis où les criminels étaient brûlés vifs aux poteaux électriques. D’y penser, Minko sentit une déchirure traverser son corps. Il sortit de l’aéroport au pas de course, héla un taxi, se jeta sur la banquette arrière, se pencha vers le conducteur, puis lui demanda s’il avait déjà vu une filature au cinéma :

— T’en fais pas mon gars, répondit le chauffeur. Quand j’étais à Libreville, je ne manquais aucun épisode de Starsky & Hutch le dimanche après-midi. 

Minko se sentit rassuré. Il n’eut pas besoin de dicter au taximan la conduite à tenir.

Un taxi-brousse d’Oyem qui s’amuse à prendre en chasse des spécialistes américains d’enquêtes criminelles ; fallait-il s’étonner qu’il fût repéré au premier carrefour ? Une fois à Eyenaçi, non loin de la résidence du chef de village Mintsa Miyâ, le véhicule 4 x 4 transportant les Américains ralentit. L’un des agents du FBI baissa le rétroviseur intérieur à hauteur de la plaque minéralogique du taxi, nota le numéro dans un pense-bête, tandis que son compagnon sortit un appareil photo miniature, et sans se retourner, figea les deux poursuivants dans la pellicule.

♦  ♦  ♦

Minko savait pour quelle raison les agents du FBI se trouvaient à Oyem. Ils venaient tirer au clair « l’Affaire Oddie Jones », du nom de la jeune enseignante américaine assassinée dans un hôtel de la ville. Oddie Jones était à sa première mission en Afrique. Arrivée de fraîche date à Oyem, elle avait commencé à donner des cours au lycée polytechnique Richard Nguema Bekale. Miss Jones avait une trentaine d’années. Taille de guêpe, cheveux noirs, regard noisette, le port quelque peu insouciant, elle faisait penser à Minko le portrait de la mère de Barack Obama qu’il avait lu dans le Washington Post. Oddie Jones, comme la plupart des Américains blancs, était très sociable. Tout le contraire des coopérants français qui menaient une vie d’apartheid à l’autre bout de la ville. Cela faisait quelques mois qu’elle séjournait à Oyem et toute la ville l’appelait affectueusement « La Folle ». Toujours souriante, elle tendait sa joue à tout va, rendait visite aux lépreux de l’Hôpital Hansénien d’Ebeigne. Le week-end, Oddie Jones invitait ses compatriotes, ses collègues et ses meilleurs élèves à de petites soirées dans l’appartement qu’elle occupait au deuxième étage d’un petit immeuble situé non loin du lycée. Elle habitait le quartier Monaco, rendu célèbre par Tsira Zeng. Le dernier poète du Nord avait chanté la beauté ensorcelante des demoiselles de Monaco, dont les déhanchements lors du festival élonecongo-gôle-yemebâne donnaient le tournis aux touristes européens. Monaco était également le territoire contrôlé par un affreux petit gangster, Jean Walker, qui s’y livrait à toute sorte de trafics.

L’immeuble où vivait Oddie Jones était la propriété d’un richissime commerçant bamiléké arrivé du Cameroun au début du 20ème siècle. Il avait été racheté par Robert Garcias, un entrepreneur français, lui aussi tué, selon la rumeur, dans des conditions jamais élucidées. Bien des années plus tard, on apprit que Garcias avait été victime d’un « beau-fratricide ». Pour faire la lumière sur la mort de son mari, Madame Garcias alla consulter un voyant. Le sorcier ne perdit pas de temps en investigations. A coups de vin rouge mélangé à la sève âcre de l’iboga, tout cela avalé cul sec, il dressa le portrait robot du criminel tel qu’il lui était apparu dans ses visions psychédéliques et conseilla à la veuve de lui tirer un coup de fusil nocturne ou de porter plainte. Madame Garcias opta pour la seconde solution. Mais au tribunal de grandes instances d’Oyem, le juge tourna l’accusation en dérision. Il fit comprendre à Madame Garcias que le droit gabonais ne reconnaissait pas la fonction de criminologue aux sorciers et que leurs visions ne pouvaient servir de preuve dans une affaire criminelle. Dégoûtée, Madame Garcias quitta le Gabon et alla vivre chez ses beaux-parents à Paris. Elle n’y resta pas bien longtemps. Elle dut replier bagages précipitamment quand, en 2002, un politicien au nom de Jean-Marie Lalèpre, arrivé second aux élections présidentielles, menaça de jeter Noirs et Arabes à la mer si les Français l’installaient à la tête du pays. Prise de panique devant un projet aussi monstrueux, Madame Garcias abandonna son appartement HLM du quartier Saint-Denis, et rentra faire ses plantations au village Elelem.

Quand Oddie Jones organisait une petite fête à Monaco, ses élèves mangeaient à se crever l’estomac comme s’ils voulussent se venger des semaines de privations. Le brouhaha chez Oddie Jones était tel qu’on se croyait souvent au pied de la Tour Eiffel. Les conversations allaient dans les langues locales et internationales. Les Américains s’essayaient au Fang et s’émerveillaient de quelques mots appris. Quant aux enseignants africains, eux s’efforçaient de corriger leur anglais marqué d’un fort accent créolisé, à l’exemple du pidgin que parlait Dr. Schiffo. Professeur d’espagnol d’origine camerounaise, Dr. Schiffo portait une longue barbe qui lui donnait l’allure d’un juif orthodoxe. Se disant polyglotte, il passait souvent de l’espagnol à l’anglais et terminait sa conversation en langue bamoun. L’alcool aidant, il emmenait l’assistance visiter le village natal du sultan Njoya, racontait que ce dernier était « l’auteur de l’unique écriture connue d’Afrique centrale, et le bâtisseur d’une ancienne cité camerounaise au fronton duquel il avait gravé une inscription énigmatique : Poursuis et atteins. » Lorsque Dr. Schiffo déroulait ses légendes, les gens déposaient leurs verres et se délectaient des exploits du peuple bamoun. On comprenait alors pourquoi les Américaines aimaient tant l’Afrique. Telles des biches envoûtées, elles dévoraient Dr. Schiffo des yeux, se voyaient déjà reines du royaume de Bamenda. De toutes les Américaines assidues à ces veillées, seule Miss Molly occupa la place convoitée.

Au fil du temps, les soirées chez Oddie Jones devinrent fréquentes. En plein milieu de la fête, lorsqu’on passait le disque « Elombê » de François Ngwa ou « Mario » de Franco, Miss Jones sentait la folie envahir ses sens. Elle perdait son self-control tant la musique provoquait en elle des émotions extatiques, qu’elle traduisait par de légers cris du genre absolutely fabulous ! Really thrilling ! Elle laissait jouer « Elombé » en streaming, passait d’un cavalier à un autre avant de disparaître dans la salle d’eau ou dans sa chambre.

La ville commença à s’inquiéter des excès de l’Américaine. D’aucuns disaient qu’elle se comportait comme une « Folle » pour se remettre d’une ancienne histoire d’amour. Dr. Schiffo, encore lui, imagina au sujet de la jeune femme, un récit fantastique. Oddie Jones, expliqua-t-il, était du Sud des Etats-Unis, et longtemps dans ses forêts peuplées d’alligators, les femmes, placées juste d’un cran au-dessus des Noirs sur l’échelle du racisme, avaient traversé des siècles d’une triste existence. Les Américains ne veulent pas l’admettre : l’esclavage reste un traumatisme ancré au plus profond de leur inconscient populaire. Dr. Schiffo regarda dans le grand miroir hérité du sultan Njoya et entreprit de lever les secrets de la psyché américaine. Il vit dans le comportement de Miss Jones un complexe d’auto-flagellation par lequel la jeune femme cherchait à fuir et enfouir le passé de son pays. Née au bord d’un fleuve, le Mississipi, qui continue d’écumer la haine des Négros, Miss Jones savait que l’humanité n’était pas ouverte à la libre gambade. Les Blancs lynchèrent les Noirs des siècles durant histoire de leur faire entrer cette morale dans le crâne. Ils craignaient qu’une oblitération des frontières raciales « ne pousse le loup noir à s’attaquer au poulailler blanc. » Thomas Jefferson, homme politique américain du 18ème siècle, ne le répéta-t-il pas à ses amis ? Jefferson, à lui tout seul, avait accouché de la Déclaration d’indépendance américaine. Il avait écrit : tous les hommes naissent libres et blabla en droit. Leur personne est inaliénable — d’où la présence du FBI à Oyem. De l’écrire sans l’appliquer à ses Noirs, Thomas Jefferson eut longtemps mal à son âme chrétienne. Ce bel esprit des Lumières voulait bien se débarrasser de ses esclaves — de belles esclaves à l’image de la somptueuse Sally Hemings à qui il avait fait des enfants par « inadvertance ». Mais comment garder ces mulâtres chez soi sans lever le tabou racial ? Jefferson mourut sans pouvoir trancher la question. Et Dr. Schiffo de conclure : Oddie Jones était l’héritière de cette mauvaise conscience américaine. C’est pour cela qu’elle buvait autant et aimait tant les Noirs. Or donc, un autre prof du lycée Nguema Bekale, fumeur de chanvre et mangeur d’iboga, leva le doigt et demanda au Dr. Schiffo : « pourquoi alors que tu couches avec ces filles américaines si leurs papas i sont racistes ? »

En quelques mois, Miss Jones bâtit autour d’elle un univers aux contours arc-en-ciel. Un monde de couleurs indifférenciées auquel avait été intégré Effâ Ayong, l’albinos souvent relégué à la lisière du lycée. Un jour,  Effâ Ayong avait raconté à Miss Jones qu’il avait si peur d’exister à cause des sorciers de Minvoul qui voulaient couper sa tête blonde pour la fabrication des talismans politiques.

La main tendue de Miss Jones n’avait-elle pas été comparable à la témérité d’un sauveteur né sur la terre ferme et, n’ayant jamais appris à nager, plonge au milieu des eaux tumultueuses pour secourir un homme en pleine noyade ? Donne la main à un naufragé et voilà qu’il s’agrippe à toi afin de te livrer aux requins. Pareil incident arriva à Miss Jones quant à la Saint Sylvestre elle abusa du vin de málámbá et ne faillit jamais voir la nouvelle année. Une première fois, ces propres élèves avaient menacé, dans le feu d’un concours de libations, le binge drinking, de lui faire un bébé métis en partouze. Elle y échappa grâce à Jimmy PopStar, le chanteur flamboyant du Nord qui résidait au quartier Edou & Fils. Jimmy PopStar avait flairé le mauvais coup et avait arraché la jeune femme aux voyous.

Jimmy PopStar avait-il agi par galanterie ou avait-il refusé tout simplement de se faire doubler ? Minko faisait sa propre police. Pourquoi l’assassin-violeur de Miss Jones ne s’est-il pas contenté de prendre ce qu’il voulait ? Pourquoi avoir ainsi mutilé le corps de la jeune femme ? L’imagination débridée du Dr. Schiffo avait-elle quelque lien avec le meurtre de l’Américaine ?... Si vous avez déjà entendu Dr. Schiffo fredonner les paroles de « L’étrange fruit » de la chanteuse de jazz Billie Beaujour ; des paroles à vous briser les os, où il y est question de la pendaison d’un esclave noir à un pommier, parce que ce Noir aurait porté un regard « lascif » sur une blonde du Sud des Etats-Unis, vous auriez compris à quoi ressemblait le corps meurtri de Miss Oddie Jones.

Minko réfléchissait. Un tel crime était incontestablement l’œuvre d’un As des perversions sexuelles. Il était un classique du genre, le chef d’œuvre d’un génie fourvoyé.

Puis Minko de protester. Non !… Un individu dont les pulsions avaient conduit à un tel déferlement de violence sadique ne pouvait se réclamer de la Nation Ekàη-Nàhà. L’assassin-violeur, initié au culte de destruction inutile du corps désiré, était un prédateur habitué à tuer de sang froid.

♦  ♦  ♦

Lorsque la nouvelle était parvenue aux oreilles de Paulin Akout Biyaη, le commissaire de police d’Oyem ne s’en était guère ému. Il savait depuis des semaines qu’un drame couvait dans la ville. Aussi ses premières paroles furent-elles une salve d’invectives lancée contre la victime. A en croire le commissaire, Miss Jones l’avait bien cherché. Elle a la mort qu’elle mérite. La semaine dernière encore, il l’a mise en garde. Mais l’Américaine n’a voulu rien entendre. Une fois que le commissaire eut réprimandé « la Folle  morte », il demanda à un de ses agents de l’accompagner sur le lieu du crime. Au Mvett Palace, les enquêteurs se firent remarquer davantage par leur humour que par leur expertise. Et voilà qu’avant même le début des investigations, le sergent Meyok M’Ôkoumba demanda au commissaire :

— Chef, vous savez qui a fait le coup ? 

Accroupi au bord du lit, le commissaire examinait le corps de Miss Jones. Il se releva lentement pour jeter à son subalterne un regard venimeux.

— Chef, vous savez qui a fait le coup ?… Tu me prends pour un magicien ?… Tu crois que j’ai de longues vues pour élucider les crimes. Non, sergent Meyok, je n’ai pas de jumelles magiques et ne sors pas la nuit pour résoudre les énigmes criminelles. Et puis, au lieu de me poser des questions idiotes, vas me chercher Ntsame à la réception !, tonna le commissaire.

Ntsame arriva tremblant de peur. Et avant qu’on l’eut interrogée, elle lança :

— Je ne sais rien ôôô commissaire Akout ! Je ne sais rien strictement… rien du tout.

L’air calme, le commissaire répliqua :

— D’abord, je ne demande pas si tu sais strictement quoi que ce soit. La seule chose que je veux savoir… .

Ntsame s’écria à nouveau :

— Ekékéké… commissaire ôôô, ne me demande rien ôôô… Ne me demande rien … Je n’ai pas envie d’aller en prison. 

Le commissaire commença à perdre patience :

— Justement, tu risques d’aller en prison si tu m’interromps avec tes ôôô débiles au milieu de chaque phrase… Dis-moi, qui as-tu vu ici la journée d’hier ? 

Ntsame, plus que jamais affolée :

— Qui j’ai vu hier ?… Akiééé kongossa !  Hier était quel jour même ?… 

Le commissaire haussa à nouveau le ton : 

— Hier était quel jour même ?!… Hier était dimanche, pardi ! 

Prise de panique Ntsame repartit :

— Je savais… Je savais que cet horaire du dimanche allait m’apporter des ennuis… Qui j’ai vu ?! Personne, commissaire ! A part elle qui est morte. Le Mvett Palace est vide toute l’année, à part que êh…

Ntsame se tenait au milieu de la pièce, les yeux grands ouverts, sa main tentait d’endiguer les paroles qui commençaient à s’échapper de sa bouche telles les eaux de la chute du Woleu.

— Êh quoi ?! A part qui tu as vu ?! », demanda le commissaire.

— Apart un grand chef comme toi… 

Le commissaire prit une profonde inspiration comme l’on fait au yoga. Il releva la tête, se mit à expirer lentement, puis hurla :

— Tu te fous de moi ou quoi, Ntsame ?! Tu m’as déjà vu venir dormir ici ?! C’est qui le grand chef ?! 

— Je ne sais pas. On m’a dit de ne rien dire. 

— Tu sais que si tu refuses de collaborer avec la justice, tu risques d’aller en prison. 

— chef, est-ce qu’elle n’a pas le droit de garder le silence et d’être assistée par un avocat ?, Sergent Meyok s’interposa, conscient qu’il allait essuyer les foudres du commissaire.

— Putain, quelle andouille, ce sergent de nouille !? Est-ce qu’elle n’a pas le droit de gnagnagna... Nous n’en sommes pas encore là !…  Le commissaire regardait le sergent en dodelinant de la tête puis il ajouta :

— Toi, tu regardes trop la télévision. Ces histoires de garder le silence, c’est dans Starsky & Hutch que tu les as entendues, hein réponds ?! C’est là dedans ! 

La tête baissée, sergent Meyok répondit :

—    Oui, chef. 

—     Alors désormais, tu ne l’ouvriras que lorsque je te le demanderai, entendu ! 

—    Entendu, chef. 

A part cette conversation devenue légendaire dans les bars populaires, rien d’autre ne fut révélé de l’enquête du commissaire Akout. Tout simplement, savait-on, les conclusions envoyées à Libreville avaient été si mauvaises que « l’Affaire Oddie Jones » avait failli provoquer un incident diplomatique entre le Gabon et les Etats-Unis. A Libreville, les gens avaient commencé à envoyer leurs enfants au village. Ils avaient cru comprendre que le pays allait être classé parmi les « Etats voyous » si « l’Affaire Oddie Jones » ne connaissait un dénouement heureux. Et l’on savait ce que cela impliquait de figurer sur la même liste que l’Irak, l’Iran, la Colombie ou la Corée du Nord...

 

A suivre




Chroniqueur : Mve Bekale