Quarante-huit graines à semer dans des maisons réparties en deux territoires. Deux joueurs, jongleurs espiègles des graines à ramasser dans un bol, choisi avec intelligence entre six. Le vider de son contenu, et procéder à la distribution des pions, toujours dans le sens contraire des aiguilles d’une montre.
Le plateau d’awalé est harmonie. Deux territoires de six maisons chacun se donnant la main en signe de solidarité. Quarante-huit graines indifférenciées, chantant l’égalité au contact du bois, matériau naturel dans lequel est creusé le plateau de jeu.
La liberté n’est pas une valeur oubliée de ce jeu millénaire, né là-bas, en Afrique. Une Afrique ancienne, celle des cités lumineuses, aujourd’hui disparues, des fleuves amicaux, des montagnes éternelles et des peuples, multiples, riches de leurs différentes cultures. Des femmes et des hommes ayant en partage un amour sincère de la terre, toujours prodigues du sourire fraternel.
La graine d’awalé est portée par des vents de liberté. Dans son voyage entre les deux territoires se faisant face sur le plateau de jeu, il suffit de traverser le gué et la voilà devenue l’alliée fidèle de votre case, sous la menace d’une capture. Sans cesse en balade sur le plateau de jeu, cette graine nonchalante s’embellit des caresses des joueurs, toujours indocile, infatigable.
Jouer à l’awalé, c’est ramasser toutes les graines d’une case de votre territoire, puis les distribuer dans les cases suivantes, en semant chaque fois un pion par case. Le but du jeu étant de récolter le maximum de graines dans le camp de l’adversaire.
L’adversaire est d’abord ici un partenaire de jeu qu’on n’a pas le droit d’affamer. Il existe donc une règle dite de solidarité, vous interdisant de priver votre compagnon de pions. La générosité est donc encouragée ici, une générosité s’appliquant avec finesse. Il s’agit en effet d’éviter d’assécher le gué transportant les graines d’un camp à l’autre, sans oublier que l’inonder serait préjudiciable aux récoltes futures.
La simplicité des règles de l’awalé encourage à le pratiquer très tôt. Le plaisir ici est sans limites et s’accompagne d’un développement des capacités de réflexion, lorsque s’ouvre devant les regards épanouis, la fenêtre des multiples stratégies du jeu.
L’awalé : des graines à mastiquer le temps. Là-bas, dans l’Afrique actuelle, celle des métropoles, des villages et des quartiers populaires, ici, dans les établissements scolaires, dans la chaleur d’une soirée en famille ou entre amis, le temps n’est plus compté, il est dégusté, au contact des petites graines à épanouir les psychologies.
Man Ekang
Lire : L'Awalé
de Serge Mbarga Owona,
Editions L'Harmattan, Paris, 2005.