Par Rodrigue Ndong
Par devoir de précision, je m'appliquerai à éclairer la lanterne de nombre de nos frères camerounais qui pèchent par ignorance et s'enfoncent en empruntant des raccourcis faciles, au nom d'un africanisme mal défini et d'une détestation de la France pas toujours justifiée. Je parlerai aussi de ces journalistes camerounais qui, pourtant compétents, font trop facilement ami-ami avec les détenteurs du pouvoir financier et ferment donc les yeux devant des évidences pour servir le Mal.
Les mots ''élection'', ''élire'', ''élu'' sont certainement de ceux que connaissent par intuition, par science et par vulgarisation la majorité des Africains, tant on en parle et reparle tout le temps.
Un président élu est un homme choisi, parmi d'autres concurrents, à la faveur d'un vote. Autrement dit, on demande à des milliers de personnes, ici des Gabonais, qui elles préfèrent. En clair, un président élu est un type que le peuple a choisi librement. Et pour l'avoir vu in situ, je clame haut et fort que Jean Ping l'a emporté sur Ali Bongo.
Ce qui semble échapper à beaucoup de frères voisins, c'est la perspective. Savent-ils vraiment ce que représentent le nom et la famille Bongo pour la plupart des Gabonais ? Savent-ils que ce pays n'a qu'un million et demi d'habitants et dispose de ressources du sol et du sous-sol en pagaille ? Savent-ils que ce pays est sous-développé à un niveau inconcevable ? Savent-ils qu'il n'existe aucun lieu de loisirs public et représentatif dans ce pays ? Savent-ils qu'au Gabon, en 2016, on meurt encore de diarrhée et de vomissements ? Savent-ils que dans l'Estuaire, la province qui abrite la capitale, il y a encore des ponts, nombreux, en bois (pire dans l'hinterland, où l'on se croit par moments au 19e siècle, dans beaucoup de localités) ? Savent-ils que l'école dans ce pays va à vau-l'eau ? Savent-ils qu'aucun détourneur de fonds publics dans ce pays n'est en taule mais nargue le monde au quotidien ? Savent-ils le nombre de familles endeuillées à cause des fameux crimes rituels perpétrés dans ce pays et sous ce régime ? La place manque pour dire tout le tort que le PDG et les Bongo et alliés ont fait à ce petit pays.
La perspective est le problème ici. Les Gabonais ont choisi Ping, par rejet de tout ce que représentent et symbolisent les Bongo comme système, non par amour pour Ping. Vous ne savez pas combien nous nous sentons étouffés, avec cette idée de notre horizon bouché. Vous plaît-il de rencontrer au quotidien des citoyens qui ne rêvent plus, qui ne croient plus à rien, qui pensent que leur pays est maudit, qui sourient ou rient quand on leur demande de faire des efforts ou d'être honnêtes dans la vie ?
Ne suivez pas que les médias panafricains ou officiels. Lisez aussi beaucoup. Lisez, ne fût-ce que la poésie gabonaise, et vous verrez la colère, la rage et les frustrations qui habitent ces gens. Mais lisez aussi des essais. Lisez beaucoup et lisez un peu de tout, vous saisirez l'âme d'un peuple qui n'en peut plus d'entendre mentionner, depuis 1967, le nom Bongo comme président de ce beau petit pays. Ayez toujours à l'esprit, par ailleurs, que ce pays n'a qu'un million et demi d'habitants, qu'il est pétrolier depuis les années 70, qu'un certain Omar Bongo avait son mot à dire dans la composition des gouvernements français - et donc qu'il aurait pu obtenir, au bénéfice du Gabon, tout ce qui pouvait contribuer à son développement.
Notez que depuis 2008, je travaille au coeur du premier et seul quotidien gabonais d'informations, L'Union. Ce privilège m'a fait et me fait voir les dessous de cartes et rencontrer nombre de personnalités de premier plan.
Mais j'ai déjà l'habitude de ces frères africains, nombreux, qui ne se documentent qu'en regardant TV5 monde, les médias panafricains et en lisant Jeune Afrique. Cela fait, ils se croient détenteurs des outils et des informations qui permettent de déposer des jugements définitifs et sans nuance. Est-ce sérieux ? De plus, beaucoup n'ont découvert le Gabon et certains hommes politiques locaux qu'à la faveur de cette élection. Est-ce sérieux ? Demain, les mêmes iront se permettre de juger de la RDC de la même manière, au moment de la tenue des élections là-bas. Sera-ce sérieux ?
Chers amis, vous voyez les choses de trop loin et de manière arrogante, me semble-t-il. Vous ne comprenez toujours pas que le problème de la majorité des Gabonais n'est pas que Ping a leur amour par rapport à Ali.
C'est l'idée de l'alternance qui nous fait courir, avec les perspectives qu'elle appelle nécessairement. Aucun Gabonais n'ignore que Ping est un ancien cacique du PDG, ni qu'il a été le beau-frère d'Ali. Ce qui nous préoccupe, c'est l'avenir de ce pays et de son droit au rayonnement. Vous qui jugez à partir de bribes et par sympathie pour Ali, connaissez-vous un peu Ping autrement que par la fréquentation de vos médias ci-haut cités ? Et même Ali, le connaissez-vous un peu ? Avez-vous une seule fois au moins été en contact avec ces gens, comme moi, pendant la campagne présidentielle dernière ? Avez-vous demandé à lire leurs programmes, qui sont disponibles encore ? Avez-vous suivi le jeu des candidatures, leurs motivations et leurs alliances ? Pour votre information, je peux mettre à votre disposition une somme d'ouvrages pouvant bien vous éclairer. Mieux, je peux vous citer d'éminents chercheurs camerounais outillés et qui parlent avec beaucoup de pertinence de ce qui se passe au Gabon comme s'ils y vivaient au quotidien. Demandez et vous serez servis.
Pendant la campagne pour la présidentielle dernière du Gabon, je n'ai pas dérogé à mon habitude de suivre les médias privés camerounais, dont je connais depuis 2007 les figures, les programmes et les invités qui reviennent souvent. D'ailleurs, contrairement à beaucoup de mes compatriotes, je ne découvrais pas tous ces envoyés spéciaux camerounais venus couvrir la campagne. Je les connais tous, y compris ceux qui n'y sont plus grâce à certaines promotions.
Une chose m'a beaucoup amusé : la méconnaissance des réalités locales par quantité d'invités. Un exemple , c'était sur Équinoxe, dans l'émission "Droit de réponse". Un mec lance que c'est Ali qui a gagné, parce qu'il était présent sur le terrain, contrairement à Ping qui a passé son temps à insulter Ali au lieu de parler de son programme de société. Il a ajouté qu'Ali était proche de son peuple parce qu'il avait partagé un plat de coupés- coupés avec avec quelques Gabonais devant des caméras. J'ai beaucoup ri de tant de naïveté.
Un : Ping a fait le tour du Gabon. Un périple entamé deux ans avant le lancement officiel de la campagne.
Deux : Ping a bien un programme de société d'une centaine de pages, toujours disponible.
Trois : Ali n'a jamais été proche du peuple, sinon pour des besoins de communication en vue de berner les gens peu informés comme notre ami d'Equinoxe.
En outre, pourquoi Ping et pas un autre, demanderiez-vous, pour appeler l'alternance ? La réponse est pourtant simple : son CV parle pour lui, et très tôt il a eu le soutien de nombreux membres éminents de l'Union Nationale, le parti fondé, souvenez-vous, par Mba Obame et Zacharie Myboto en 2009. Puis, comme cela se voit aujourd'hui, il s'agissait d'éviter l'émiettement des voix au regard du grand nombre de candidats pour une élection à un tour.