"Bal intérieur " de Wilfrid Etoundi : révélations d'un artiste inclassable (04/01/2016)

Partie I

 

L’artiste grandit à force d’audace/ les vents se lèvent, le portent en grâce/. Deviner ce qu'il y aurait d'autobiographique dans ce chant, des mots d’abord dédiés à un frère d’armes, très tôt parti pour le paradis des artistes. Album en vérité fort surprenant, que ce Bal intérieur de Wilfrid Etoundi, artiste camerounais, vivant au Cameroun. Précision peut-être élémentaire, une fois égrené ce chapelet de textes et de mélodies portés par un sens racé de la composition. Bal intérieur. Une qualité sonore située par la borne des exigences mondiales. Bal intérieur : album qui semble hurler l’ambition d’excellence que l’artiste nourrit pour son art, la vie qu’il a choisie, ou qui l’a happé, c’est selon. Nul besoin, nul moyen cette fois d’avoir le plaisir chagrin : il y a si longtemps que, des studios camerounais, des artistes vivant et voulant mourir sur la latérite ou le bitume camerounais n’avaient  proposé au monde autant de convictions solides, tant d'originales sensations.


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La rareté croissante des offres originales venues du cru camerounais serait-elle ce qui rendrait l’œuvre de cet artiste d’autant plus remarquable ? De nombreux talents existent à Douala, Yaoundé, Maroua ou Bafoussam, à qui manquent juste les occasions pour leur pleine expression, ce qui est bien l’essentiel, pour tout artiste. D’où la nécessité, devenue loi presque immuable, pour tout artiste qui se respecte, de casser la figure du triangle national, d’aller chercher bonheur ailleurs. A moins de se résoudre à courir le guilledou, moqué par les parents, les amis, et la société si avide de musiques et si avare de marques de respect de l’artiste musicien. Partir, ou se résoudre à tâter des abîmes qui attendent, implacables, l’artiste désabusé, le créateur écoeuré, le citoyen déclassé, l’homme destitué. C’est que demeurer artiste, vivre en art n’est déjà pas aisé ailleurs, le tenter par le temps qui court au Cameroun prend les allures d’un tour de force inouï.

 

Wilfrid Etoundi et son Bal intérieur proposent donc au monde l'inouï, de Yaoundé, Cameroun. Quatorze virées dans un bal intime, autant de plongeons en eaux rares, où l’oreille rencontre la densité des réflexions au détour d’un aphorisme créé comme par une langue ancienne. Langue devenue virtuose à nommer les sentes du cœur et de l’œil sous les brassées de l’artiste. Une langue comme en voie de disparition, l’éwondo, dont Wilfrid Etoundi ravive les pouvoirs de poésie et de symbolisme. L’éwondo qu’il restaure en moyen pour refonder un monde qu’il observe et dont il est acteur en même temps. Les instances de discours abondent, de cette profession de foi à sa mère, Mema Dédé, qui vous arracherait bien une larme, au souvenir de la vôtre, tant le ton est humble, confident, confiant, à cette lettre à l’ancêtre homonyme, Mbomo, aux menées plus sociales, voire politiques.

 

L’habileté de Wilfrid Etoundi à innover, à inventer un langage nouveau, à la fois musical et poétique, le dispute à l’élégance des orchestrations qui escortent son chant. On se surprend alors à penser que ce Bal intérieur, si riche de nuances, est peut-être bien l’empreinte d’un artiste inclassable, en somme. Pour qui s’attendrait à apprécier un instrumentiste d’exception, ce que le guitariste est d’évidence, l’épaisseur des textes pourrait agir telle une bourrasque : elle pourrait même déstabiliser. L’écriture, tout en symbolisme, de Wilfrid Etoundi, par ses charges d’évocation, ses qualités purement littéraires, pourrait troubler le mélomane peu habitué des chanteurs à texte, ceux qui mettent tant de soin à leurs pensées, aux mots qui les disent. Pour chaque planteur acharné/ il viendra des écornifleurs tout autant déterminés/ Partout c’est la marche des choses/ Le sort de l’artiste en est là jeté. Celui de l’artiste, ou le nôtre, à tous, au fait ? Les rythmes bikutsi approuvent ici la langue française pour élever une statue à l’idée de l’homme ou à celle de sa  destinée. Le français s’imprègne d’une mystique de la pensée et de l’action qu’elle n’a pas toujours fréquentée. La mystique de la forêt équatoriale africaine.


Article paru, pour la première fois à www.obili-over-blog.com




Chroniqueur : Ada Bessomo