Amadou Fatoumata Ba : designer, sculpteur, récupérateur. (11/03/2016)

A l’instar de ses créations, Amadou Fatoumata Ba, « Ame » de son diminutif, « designer sculpteur récupérateur » tel qu’il se plaît à se définir lui-même, suscite un intérêt qui va bien au-delà de sa propre conception de l’art. Le natif de Yoff au Sénégal, issu de la communauté des Baye Fall, a très tôt délaissé les chemins sinueux de l’école pour se consacrer à ce qu’il a toujours considéré comme une évidence, à savoir  la création.


Rencontre avec un artiste hors norme qui fait la part belle à la matière et dont le discours rafraîchissant symbolise la  nouvelle génération émergeante d’artistes Sénégalais.

 

Amadou, d’où et quand t’est venue cette passion pour la sculpture ?

Oh très tôt. En fait petit je voulais devenir lutteur, je m’entraînais dans ce but. Mais ma mère ne voyait pas ça d’un bon œil, elle préférait me voir étudier et aller à l’école. Mais bon moi ça ne m’enchantait guère. Mon père étant lui-même sculpteur je me suis tout naturellement tourné vers cette voie.

 

Quelle fut ta première approche du monde de la création ?

J’ai d’abord commencé avec la peinture. J’ai créé mon propre atelier sur la plage du « virage » à Yoff. Mais très vite j’ai eu envie de passer à autre chose.

 

Autre chose, c’est-à-dire les pneus ?

Oui voilà. J’ai eu un véritable coup de cœur pour cette matière. Dès 2001, j’ai commencé à travailler les pneus. Le point d’orgue étant l’exposition African Tempo que j’ai entièrement conçue et qui est dédiée à l’univers du pneu. En fait mon but est de créer mais aussi de réhabiliter cette matière souvent mal considérée. Je peux aussi bien créer des statues que des objets de la vie quotidienne, comme des chaises ou des tables. En plus des pneus on en trouve partout (rires).

 

La genèse de ton art, est-ce le recyclage ?

Exactement. Chez nous les Baye Fall, on ne jette rien. Un objet en fin de vie peut être utilisé à d’autres fins. Il suffit de lui trouver la bonne affectation. Je peux passer 99 fois à côté  d’un objet sans y toucher. La centième fois je le prends et je lui donne une nouvelle vie.

 

Explique-nous en quelques mots ce que signifie la philosophie Baye Fall et si cette dernière t’influence au quotidien dans ton approche de l’art.

Je suis né Baye Fall, mon père est Baye Fall lui-même. Le Baye Fall est un mouvement initié par Ibrahima Fall. Il constitue une branche des mourides. Evidemment le fait de faire partie de cette confrérie influence énormément mon travail. J’accorde une importance toute particulière à chaque objet. Chaque objet peut se révéler un trésor.

 

Tu es Peul. La culture Peul joue-t-elle aussi un rôle dans ton approche artistique ?

Oui dans la peinture, elle m’est très utile. Lorsque je dois représenter des tatouages, des scarifications ou encore des masques. Elle me sert énormément.

 

Pourquoi avoir privilégié le pneu comme matière identitaire ?

La matière me plait à la fois dur et doux, rigide et souple. C’est une matière noble très agréable à travailler et on peut en faire ce que l’on veut.

 

Tu travailles à la force de tes bras..

Oui question outillage, je n’ai pas grand-chose. Tout se fait avec les mains quasiment. Je suis en prise directe avec la matière. En plus ça me fait un bon entrainement sportif (rires).

 

Tu as réalisé des œuvres aux dimensions impressionnantes, c’est un choix délibéré ?

En fait je m’adapte à l’espace. Si je dispose d’un espace limité mes œuvres sont à l’échelle de l’endroit. Mais c’est vrai que j’aime la démesure, les sculptures monumentales. Mais encore une fois le but est de donner une nouvelle vie aux objets : c’est l’essence même de mon travail.

 

Le Sénégal regorge d’artistes de talent : spécificité Sénégalaise ou fruit du hasard ?

Non je pense que le Sénégal est un bastion fort de la création en Afrique. C’est ancré dans notre culture, dans notre patrimoine génétique.

 

Ousmane Sow, par exemple, t’a-t-il influencé ?

Non pas vraiment. La création est naturelle chez nous. Il y a de nombreux jeunes artistes Sénégalais dans des domaines extrêmement variés, comme la mode par exemple. Il m’arrive de collaborer avec  Jha Gal qui a un talent incroyable. L’entente est bonne entre nous.

Tu ne travailles que la nuit, est-ce pour alimenter la légende ?

Non c’est vrai. C’est un peu un rituel. L’inspiration me vient avec l’obscurité. La nuit est mon amie en quelque sorte (rires). C’est l’objet qui vient à moi et non l’inverse.

 

Tu as quitté ton Sénégal pour la France voilà plus d’un an. Comment se passent les choses ?

Pa mal. J’avais peur que le froid me fasse perdre mon esprit de création. Mais au final ça va. L’adaptation s’est bien faite. J’ai rencontré ici des gens formidables. Le point de départ fut la sélection de 2 de mes œuvres pour l’exposition Making Africa à Berlin. Expo qui depuis est partie à Bilbao en Espagne.


Des projets en vue ?

Oui, il y a beaucoup de choses à faire. Je vais prochainement exposer à Mouscron en Belgique pour l’évènement « Bol d’art » par exemple. Et il y a plein d’autres dates après, mais je n’ai pas tout en tête.


Propos recueillis par Atango.


Voir les oeuvres de l'artiste ici : http://www.ozila.net/blog.php





Catégorie : Sculpture