Légitimité des opprimés ou légalité de l’oppresseur ? IL FAUT CHOISIR ! (12/10/2016)

par Ghonda Nounga

Crier à longueur de journée, comme le font les coalitions actuelles au Kamerun, qu’on est une opposition « légaliste » et « républicaine », c’est reconnaître bruyamment qu’on s’accommode des rapports sociaux injustes actuels ; c’est admettre sans concession la domination légalisée d’une minorité d’oppresseurs et de prévaricateurs sur la grande majorité des Kamerunais ; c’est admettre sans possibilité de recul la mise en coupe réglée de notre pays au profit de cette minorité et de leurs maîtres impérialistes. C’est lier les bras et les cerveaux des militants et du peuple kamerunais, et limiter leurs capacités d’initiative. C’est les amener à l’abattoir « pour des prunes », sans véritable perspective de succès. La révolution n’est peut-être pas une science, mais elle ne s’en éloigne pas de beaucoup, et les militants politiques gagnent toujours à examiner avec les instruments adéquats les expériences de l’histoire. Et pour parler comme Léon Trotski, « celui qui s’incline devant les règles établies par l’ennemi ne vaincra jamais. »


Jamais aucun groupe d’hommes désireux de se libérer n’a mis sur un piédestal et célébré les normes et les lois de l’oppresseur. La révolution française ne s’est pas faite avec les édits de Louis XVI et de sa cour ! La révolution états-unienne ne s’est pas accomplie dans le cadre des lois de la Grande-Bretagne coloniale. Et si le monde entier célèbre en Nelson Mandela le combattant modèle pour la liberté et les droits des peuples, ce n’est pas parce qu’il a respecté « la loi et l’ordre » du régime d’Apartheid ! Et qui est donc que ce Nelson Mandela ? Le fondateur, contre l’avis des caciques de son parti, d’Umkhonto we sizwe, la branche armée de l’ANC ! Aucun peuple en lutte ne saurait être « légaliste » ou « illégaliste » par principe. Le peuple en mouvement fait usage de toutes les opportunités qui s’offrent à lui. Et dans sa lutte pour se libérer, il se situe, pour parodier Friedrich Nietzsche, par-delà la légalité et l’illégalité. Pour le conduire dans sa lutte, son avant-garde politique doit savoir, comme l’écrit Félix-Roland Moumié, « marcher sur ses deux jambes », c’est-à-dire, user à bon escient et sans états d’âme des opportunités légales et illégales qui s’offrent à la lutte. Et l’on voit par là que la formidable légitimité des opprimés en lutte ne peut être comparée à la basse contingence de la légalité, n’en déplaise à quelque philosophe moral accroupi.


De ce qui précède, le lecteur déduit aisément l’inanité des proclamations de non-violence par principe. Les Kamerunais sont en face d’un pouvoir brutal qui les opprime et les saigne depuis la signature du traité germano-duala le 12 juillet 1884, soit depuis 132 ans ! Et que de morts et de souffrances en ce siècle augmenté de trois décennies : Essono Ela, Kuv’a Likenye, Douala Manga Bell, Martin-Paul Samba, Henri Madola, Ruben Um Nyobè, Félix-Roland Moumié, Osende Afana, Ernest Ouandié ! Des millions de Kamerunais exécutés, soumis au travail forcé, à l’exploitation féroce par les comptoirs coloniaux d’abord, puis dans les entreprises néocoloniales des Bolloré par la suite. Et plus près de nous, le jeune Eric Taku assassiné lors des villes mortes, et ces centaines de jeunes compatriotes abattus lors des émeutes de janvier 2008. George Jackson (l’un des « Frères de Soledad ») le dit à juste titre : « Le concept de non-violence est un faux idéal. Il présuppose l’existence de la compassion et un sens de la justice chez l’adversaire. »


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