Zanzibar, génie du Bikutsi. Jean-Marie Ahanda témoigne (22/10/2018)

Théodore Epémé Zoa est Zanzibar, pour tous ses compatriotes. Il est né voici cinquante-six ans. Son départ brusque, il y a trente ans, n'a cessé d'entretenir sa légende auprès de tous ceux qui l'ont connu et aimé.

C'est au sein du groupe Les Têtes Brûlées que Zanzibar assoit sa stature d'icône des rythmes camerounais. Ceci en quelques titres, vite devenus autant de chansons cultes du répertoire de son pays.

Jean-Marie Ahanda, musicien un temps compagnon de Jacob Desvarieux, au sein du Zulu Gang, peintre, écrivain, fondateur du groupe entré dans la légende avec son guitariste, se souvient de sa rencontre avec Zanzibar. 

 

" La première fois que j’ai vu Zanzibar, c’était à l’occasion d’un spectacle à l’Abbia, où il était le second guitariste d’Ange Ebogo Emérent. Ce qui m’a frappé à l’occasion, c’était son aptitude à jouer certains patterns réputés difficiles quand on n’a pas une véritable maitrise. Cependant, je ne savais même pas qui il était....Notre rencontre s’est faite lors des répétitions en vue d’un enregistrement d’Ange Ebogo, qui devait aboutir à OKON MA KON. M. Atangana Essomba, au vu de ce que nous avions accompli avec les "VETERANS" dans "KULU" et "IDENTITE", m’avait convoqué pour me confier d’abord la direction des enregistrements de Messi Martin. Par malheur, ils ne se sont pas entendus, car Messi avait reçu une invitation pour le Canada et s’apprêtait à quitter le pays sans lui laisser de groupe de substitution dans son bar de Mvog Mbi, le "NKUMASSENGUE".

 

Apres leur séparation et le voyage manqué de Messi,  Atangana a décidé de prendre et produire Ange Ebogo, car il avait compris que notre label, EBOBOLO FIA, était à la recherche de soutien financier. Lorsque nous avons commencé les répétitions en vue de ce disque, je suis arrivé à Nkumassengue et dès ma descente du taxi, j’ai été impressionné et même intimidé par une phrase musicale à la guitare. En entrant, j’ai voulu repérer qui l’avait produite. J’ai eu la surprise de constater que c’était un jeune de près de 18 ans, qui l’a répétée en disant : "Atangana Quelqu’un ne peut même pas faire ça !", et il refait devant moi une longue phrase avec accent balafon, sans influence ni congolaise ni jazz. C’était exactement ce que je cherchais depuis près d’un an. Un guitariste capable de s’exprimer longuement, sans sombrer dans la rumba, le jazz ou ces influences extra-camerounaises. En plus, ce qui m’a déterminé à mieux le considérer, ça a été sa réaction lorsque le groupe, à la demande de Ange Ebogo, a voulu saboter les répétitions. C’est lui qui a demandé aux autres musiciens de mieux écouter ma proposition et c’est ainsi que nous avons pu continuer. A cette occasion, je lui ai confié la guitare solo que portait justement Ahéno et chacun a pu voir avec soulagement qu’il méritait cette place, mais en était frustré, parce que chez nous la meilleure place est très souvent destinée aux plus âgés, même si les jeunes ont des compétences. Notre collaboration directe n’a commencé qu’un an plus tard, après son retour de Kumba où il était allé, en route pour l’étranger.


Résultat de recherche d'images pour


Un jour, il m’a trouvé en répétitions avec le guitariste des Vétérans, qui ne comprenait pas mes explications. Sans signaler sa présence, il m’a écouté et lorsqu’ il a compris, il a pris la guitare de la fenêtre et est entré en jouant ce que je voulais entendre depuis des lustres. Il m’a fait part de ses problèmes, dont le manque de maison etc. Je lui ai donné une chambre libre chez moi et nous avons commencé ensemble un travail préparatoire de ce que nous allions faire, dans ce qui allait s’appeler le Bikutsi et ne s’appelait alors que EKANG. Il n’avait sur lui qu’un short rouge, le même qu’il avait le jour de sa mort, 6 ans plus tard, et des babouches. Nous avons commencé par mes compositions mais très vite nous nous sommes concentrés sur des instrumentaux à la guitare balafon, que nous avons présentés ensemble au CCF, lors d’une phase des premiers "JAZZ SOUS LES MANGUIERS".


Dès lors, ce qui m’a impressionné et particulièrement plu, ça a été son acharnement au travail, du matin au soir, car pour la première fois il avait une guitare personnelle, reçue comme cadeau de Noël. Nous n’avions pas encore parlé des Têtes Brûlées, car avec l’ego des musiciens, je craignais qu’il pense que je l’embauchais de force, puisqu’ il avait des compositions de rumba à la congolaise. Ce n’est que plus tard que je lui ai dit ce que je pensais du bikutsi, et ce que nous pouvions en faire grâce à un talent comme le sien, exempt d’influences connues. En habitué des groupes, mon intention était de créer un cercle de musiciens travaillant sur cette matière uniquement, afin d’en tirer l’essentiel et le faire partager à ceux qui n’en voyaient pas les possibilités que j’apercevais depuis mon retour au Cameroun, à travers les succès de Seba Georges et d’autres, qui étaient d’influence rumba comme Betti Joseph particulièrement. L’idée des Têtes Brûlées existait depuis le disque d’Ange Ebogo mais n’avait pas de corps, car pas de musiciens capables d’accepter de répéter chaque jour pendant des heures et construire en commun. C’étaient surtout des individualistes et ils n’avaient pas de matériel personnel, car à l’époque les équipements étaient souvent fournis par les patrons de bars et les musiciens n’y avaient accès que le soir ou à l’occasion de répétitions d’intérêt professionnel comme la constitution d’un répertoire pour le bar ou encore les concerts des vedettes à accompagner.


En 1982, 1983, la scène artistique était nulle en ce qui concernait autre chose que le makossa. On écoutait les Sam Mangwana et Prince Nico Mbarga, et la radio nationale n’avait pas beaucoup de disques disponibles, en dehors de tout ce qui venait de l’étranger. Depuis l’avènement de la HI-fi, les musiciens étaient de moins en moins sollicités dans les bars et les mariages. Après avoir tenu quelque temps, le "Philanthrope" avait fermé ; le public devait attendre l’arrivée des Parisiens de l’équipe dite Nationale du Makossa à l’Abbia. Il n’y avait pas de télé et Yaoundé était repliée sur elle-même. Quelques nantis se contentaient de vidéos acquises au prix fort, subissant la loi de ceux qui louaient les quelques films disponibles. Dans les rangs de la musique EKANG, tous cherchaient désespérément des improbables producteurs. Ebogo avait réussi a convaincre AFRICA OUMBA de Jules Wonga."


Propos recueillis par Ada Bessomo




Catégorie : Musique