Alice Endamne au-delà du Gabon (07/01/2016)

Alice Endamne est une écrivaine gabonaise qui a grandi en Europe et vit depuis aux Etats-Unis. Elle est déjà l'auteure de deux romans.

 

Croyez-vous aux amours impossibles, Alice Endamne?

 

Je pense que l'amour en soi n'est jamais impossible.  Bien sûr, il y a toutes sortes de barrières culturelles que nous créons autour de nous-mêmes et de nos enfants et cela peut rendre certaines relations difficiles. Dans mes deux livres, on voit l'évolution de la relation entre Laetitia et Stéphane qui, au début, est compliquée à cause des origines et des idéaux des protagonistes (C'est demain qu'on s'fait la malle) mais elle devient, par la suite, une relation simple entre une jeune femme et un jeune homme qui va quand même subir plusieurs obstacles, parce que les hommes et les femmes, on le sait bien, ce n'est pas toujours facile (Garçons et filles). Donc, je répète: l'amour en soi n'est pas impossible mais savoir préserver cet amour envers et contre tout n'est pas toujours possible.


Comment avez-vous fréquenté le personnage skinhead, Stéphane Pellerin,  de votre roman?

 

Pendant mon adolescence, j'ai vécu à Perpignan, dans le sud de la France. L'année où je suis entrée au lycée (comme pour Laetitia et Stéphane, c'était en 1989), le phénomène d'extrême droite était très poussé dans notre coin de la France. Il y avait plusieurs élèves qui étaient ouvertement skinheads (tête rasée, blouson bomber's, chaussures Doc Martens) et j'ai pu en côtoyer un dans ma classe. Je ne me souviens pas qu'il m'ait jamais adressé la parole mais le souvenir de ce garçon distant ne m'a pas quittée. A l'époque, je me demandais pourquoi et comment ces jeunes hommes-là pouvaient juger les gens de ma couleur sans en connaître un seul. Quand l'idée du roman m'est venue, je me suis tout naturellement inspirée de ce garcon. J'y ai également ajouté un mélange de garçons que j'ai connus.

 

Quelle Afrique est celle que vous présentez dans vos romans?

Celle que je connais bien sûr. Dans C'est demain qu'on s'fait la malle, Laetitia parle des étés passés à Libreville à ecouter le chanteur Akendengue et à se balader pieds nus dans les bas-quartiers. Le Gabon est mon pays d'origine et j'en suis très fière.  Pour avoir passé six belles années à Libreville dans mon enfance, j'en garde énormément de souvenirs. J'y retourne quand je peux. Par ailleurs, dans Garçons et filles, l'un des protagonistes, un  noir américain, se rend au Ghana pour la première fois et cela m'a beaucoup amusée de discuter des appréhensions de ce jeune Occidental (il décide notamment d'entreprendre un “régime Afrique” sans produit laitier, pour s'habituer à la nourriture de là-bas) mais aussi de ses attentes (descendant d'esclave, il pense être accueilli comme un enfant qui rentre au  bercail, ce ne sera pas le cas), puis finalement de son séjour à Accra.

 

Chester Himes pensait que le noir américain était l'être le plus complexe qui soit, du fait de son histoire.  Diriez-vous la même chose de  Laetitia Obame? 

Il est vrai que l'histoire des noirs américains a été semée d'embûches mais cela a également été le cas pour les Sud Africains, les Antillais, et tout autre peuple qui a été agressé physiquement et moralement à un  moment ou un autre de son histoire. Il ne faut pas oublier que Laetitia est tout de même une jeune fille privilégiée, une fille d'intellectuels qui a grandi, non pas en HLM, mais dans un pavillon. Et, à vingt ans, elle est étudiante dans une université prestigieuse des Etats-Unis et se destine à une carriere en diplomatie. De plus, née en France dans les années 1970, elle est trop éloignée de son histoire africaine pour comprendre la complexité de son peuple. Elle ne porte donc pas de souffrance “historique.” Pourtant, elle ne connait pas vraiment ses racines et ne sait donc pas qui elle est.  Il y a donc bien une complexité qui existe  en elle.  Grandir dans un pays qui n'a pas l'air de vouloir de vous à cause de votre couleur n'est pas chose facile. C'est d'ailleurs pour cela que son désir, dansC'est demain..., c'est de s'en aller afin de comprendre enfin son identité. 

 

Comment mettez-vous à profit vos racines gabonaises dans vos écrits?

Mes racines influencent forcément tout ce que je fais, notamment mes histoires. Par exemple, dans mes deux  romans, Laetitia (personnage tiré de ma propre expérience) parle souvent de son pays d'origine, le Gabon. Un écrivain a tendance à écrire ce qu'il connait et c'est aussi le cas pour moi mais quand j'écris, je ne veux pas me limiter au fait d'être une femme originaire du Gabon. Je ne pense pas à mes racines dans ce sens. Ce qui m’intéresse d’abord c’est d’écrire quelque chose que j’aimerais lire. Je me concentre sur mon histoire, mes personnages, sur les virgules et sur les points. Un écrivain est un écrivain, pas un écrivain gabonais, suisse ou sénégalais. Par exemple, dans le roman que je suis en train d'écrire, les personnages principaux viennent du Sénégal, du Congo, des Antilles et de France.  Même si je privilégie les histoires avec des personnages d'origine africaine,  ce qui compte vraiment c'est que ces histoires puissent être lues et comprises par tous. 

 

Etre édité est souvent une aventure, comment y êtes-vous parvenue?

Ce que je vais vous dire c'est ce qu'on m'a dit bien des fois quand je me suis lancée dans cette aventure. J'écris depuis longtemps mais ce n'est qu'en 2002 que j'ai eu envie de partager mes histoires. On m'a conseillé de perséverer et c'est ce que j'ai fait. J'ai envoyé mon premier manuscrit à une trentaine de maisons d'édition en Afrique et en Europe ; aucune n'en a voulu. Jusqu'à ce jour, ce manuscrit n'a toujours pas été publié. Mais ce que je n'oublierai jamais c'est qu'un éditeur a pris le temps de l'analyser et de me dire qu'il manquait d'authenticité. Et c'est cela qui m'a poussé à écrire C'est demain qu'on s'fait la malle. Je me suis dit que si on reprochait à mon premier manuscrit de manquer d'authenticité, j'allais écrire une histoire narrée à la premiere personne qui s’inspire de mon expérience personnelle. Je ne pouvais pas faire plus authentique que cela! J'ai envoyé ce manuscrit-là à une douzaine de maisons d'édition. Je recevais des commentaires très positifs mais personne ne voulait le publier. Je croyais tellement en mon livre que j'étais prête à me lancer dans l'auto-publication et c'est là que la directrice des Editions Jets d'Encre m'a envoyé un email pour me dire qu'elle voulait publier C'est demain qu'on s'fait la malle. Garcons et filles étant la suite de C'est demain, je l'ai tout naturellement proposé à la même maison d'édition.

 

Propos recueillis par Ada BESSOMO




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